Le marketing est une science du désir qui sait transformer le futile en vital. Le marketing de la santé est intimement lié aux attentes d’une société, dont les préoccupations bien-être font les choux gras des magazines féminins et art de vivre. Collision prévisible, quand le jeu vidéo se lance sur le créneau fitness, l’activité physique ressemble plutôt à un régime Biba.
Wii Fit est sorti en décembre 2007 au Japon, juste à temps pour les bonnes résolutions, pendant que l’Europe, les Etats-Unis et l’Australie l’ont reçu en avril-mai 2008.
Ces deux mois sont traditionnellement la période où fleurissent les "
Perdre 2 kilos en un mois" et "
Belle en maillot pour les vacances". Une période pré-estivale où le consommateur moyen s’aperçoit que l’hiver lui a bourrelé le flanc, et que se dévêtir risque de lui coûter son capital séduction. Avec les beaux jours, la prise de conscience est ainsi renforcée par des lignes éditoriales qui rivalisent de miracles à l’assaut du gras.
Nintendo montre en cela un génie marketing qui témoigne d’une parfaite compréhension de sa cible. Il se positionne en casual, en "
occasionnel". Wii Fit est de fait un programme sportif pour l’occasionnel, qui peut typiquement s’inscrire dans la liste des bonnes résolutions de l’année, mais surtout satisfaire des besoins compulsifs. Wii Fit est un produit d’utilisation ponctuelle qui s’inscrit dans une logique périodique et saisonnière bien huilée.
Mais pour cela, il faut provoquer l’occasion. Créer l’étincelle qui prescrira l’achat et l’utilisation. En France, Nintendo s’est contenté d’une rhétorique du bon sens, où "une posture inconfortable peut faire mal au dos". Dans la même veine que "mettre sa main au feu peut entraîner des brûlures", on prêche des convertis, sans pour autant avancer que Wii Fit est la solution. Il est une solution, un heureux hasard.
En enrobant le tout d’un ludisme attrayant, d’une image familiale et d’un programme de gym douce, Wii Fit a tout pour être l’alternative rêvée aux sport. Le vrai. Celui qui ne vit que par le slogan "No pain no gain" et inquiète par son masochisme.
Démocratiser l’endorphine, c’est ce que Nintendo tente par une vision aimable de l’effort. Plus saine, plus respectueuse de l’individu.
Sur le plan de l’hygiène de vie, Wii Fit est évidemment un mieux par rapport au sédentarisme et réussir à susciter l’envie de suer est un exploit. Cela ne se fait pourtant pas sans sacrifier aux désirs de gratification immédiate du consommateur, ni sans exploiter ses anxiétés.
La dernière campagne japonaise de Wii Fit, datant de début Janvier, montre des gens se régalant de soupes de nouilles et autres plats typiques. Leur visage rayonne de satisfaction. Puis arrive la sanction de la balance, qui montre à un homme qu’il est en léger surpoids. Celui-ci, fin comme une demi-allumette se palpe le ventre avec hésitation, puis se met à l’exercice sur sa Wii Balance Board.
C’est ici que Wii Fit se démarque complètement du marché vidéoludique, pour emprunter des codes propres à la presse et au marketing. Jouer sur la culpabilité et les complexes de l’audience se rapproche des mannequins aux poutres apparentes qui squattent les pages de Pimbêche Actuelle. On est à la limite sémantique entre le plaisir et la gourmandise dans le sens "pêché" du terme.
Le cycle des campagnes a lui aussi assimilé les périodes de purge prônées par la Presse et les médias mainstream. Au-delà de l’achat impulsif motivé par la hype, Wii Fit justifie sa quasi-nécessité par l’entretien régulier d’une hygiène de vie.
Une réalité tordue qui s’oppose à la vocation évènementielle de son utilisation. Après les fêtes, avant la plage, pour la rentrée. Jusqu’à la fin du calendrier.
En pratique, Wii Fit est incapable d’estimer l’épaisseur de votre couenne. Bien que la Balance Board puisse deviner votre centre de gravité, elle ne calcule que votre Indice de Masse Corporelle (IMC) en fonction du poids qu’elle enregistre et de la taille que vous lui communiquez.
La formule de cet indice, qui détermine si le rapport taille/poids se trouve dans la moyenne fait abstraction du taux de graisse de votre organisme.
Par exemple, Monsieur X et Monsieur Z peuvent faire le même poids pour la même taille, mais bien que les deux soient en surpoids selon leur IMC, l’un des deux peut être un sédentaire grassouillet et l’autre un sportif confirmé.
Le muscle pèse bien plus lourd que la graisse, ce dont la Balance Board, comme n’importe quelle balance à 20€ chez Darty, fera abstraction. Le jugement à la louche de la balance board renvoie une image erronée, voire négative, du corps.
Ce qui finalement, invalide toutes les bonnes intentions de Wii Fit. Il n’en devient plus qu’un prétexte pour casser la sédentarisation, éventuellement (re)donner le goût de l’effort, mais sculpter son corps et décrasser son hygiène de vie n’est qu’une douce utopie. Celle-là même qui veut faire croire à la ménagère qu’elle rentrera dans son petit 36 en se gavant de pamplemousse.
Dans la recherche d’une vie plus saine, Wii Fit est donc un facteur d’amélioration, mais qui se révèle infime en comparaison des autres. Une meilleure alimentation, des cycles de sommeil plus réguliers, plus de légumes, plus de lumière naturelle. Et peut-être arrêter de fumer.
En dépit de son efficacité plus que relative, Wii Fit est toutefois un repère important dans l’évolution du jeu vidéo et dans sa quête de popularité consensuelle. Pour y parvenir, il s’est inspiré des mécanismes de communication qui régissent la diététique de bazar des magazines. Il a compris avec une insolente intelligence comment et quand se manifester.
Wii Fit est un phénomène de société au sens le plus pur, né de de nos complexes et aspirations. Il répond à nos angoisses, avec son sourire de VRP et ses recettes de charlatan.
Quatre-vingt-dix euros la bouteille, approchez, approchez !
Référence: Avec l'autorisation de fluctuat.net